Interview d’Olivier Rozenfeld (Fidroit) sur BFM Business : Attention aux donations !
Ne donnez plus, pensez en priorité à votre retraite et aux risques de la dépendance. L’espérance de vie des français s’accroît et les besoins financiers qui l’accompagnent suivent cette tendance.
Les français héritent de plus en plus tard. Cela introduit deux phénomènes contradictoires qui mettent les français dans une situation schizophrénique.
D’une part, si chaque génération avait à un âge donné un niveau de vie supérieur à celui des générations précédentes au même âge, les enfants étaient assurés d’avoir un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents. Or, le mouvement s’est inversé depuis la fin des années 80. L’ascenseur social n’est pas en panne, il redescend. Cela favorise la solidarité intergénérationnelle. Chacun veut pouvoir aider ses enfants avec un certain altruisme parental renonçant alors à son propre bien-être.
D’autre part, j’ai l’impression que les français, à défaut de pouvoir s’enrichir en travaillant, travaillent à ne pas s’appauvrir en investissant toute leur énergie à pérenniser leurs économies et celles de leurs ascendants. Pour assurer leur propre avenir mais aussi leur train de vie, les français sont contraints de consommer leur patrimoine pour eux-mêmes. C’est une nouvelle réalité financière : ils ont besoin de revenus complémentaires, aujourd’hui mais davantage encore à terme, sans compter sur le risque de dépendance à anticiper. On ne peut pas être généreux jusqu’à l’insouciance. Charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est bien connu. L’espérance de vie augmente et avec elle certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer.
Donner est devenu un art difficile lorsqu’on sait que les français sont légitimement préoccupés par leur retraite. Il faut le faire sans porter atteinte à l’indépendance économique de celui qui donne. Observez ce qui se passe avec le développement de l’économie collaborative et « Air BNB » par exemple. Les français tentent d’obtenir des flux financiers à partir de leurs biens immobiliers de jouissance, voire des biens mobiliers en louant par exemple leur voiture avec « drivy ».
Il y a de moins en moins de « new cash » et de plus en plus de « old money », nous sommes rentrés dans une économie de flux. Il faut assurer de plus en plus ses arrières.
Quand un épargnant souscrit un contrat d’assurance, et les français sont excessivement nombreux à le faire, cela atteste de la réalité décrite supra. Souscrire cette formule d’épargne : c’est nommer un ou plusieurs bénéficiaires en vue de sa transmission sans nuire à sa capacité financière puisque des retraits sont toujours possibles. Les bénéficiaires n’auront que le reliquat quand avec une donation l’acte est irrévocable. Le dépouillement est définitif.
C’est aussi la raison pour laquelle il faudra de plus en plus utiliser le système assurantiel dans sa version « prévoyance », ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui.
L’espérance de vie à la retraite, c’est 17 ans. Vous rajoutez un « zeste » de maison de retraite et de dépendance et s’ils sont soucieux de ne pas peser sur la situation économique des plus jeunes, les français devront immanquablement recourir à ces formules avant de s’intéresser à la transmission de leur patrimoine. Il y a le principal et l’accessoire…
Il est aussi possible de porter un regard critique sur les formes de libéralités, au sens où il y a la pratique et les solutions qui auraient dû être proposées.
L’acte de donation doit être mis à l’épreuve des dangers qu’il suscite. Parfois non perceptibles, ils existent et méritent que des aménagements soient pris par les professionnels. On dit en droit : donner et retenir. Eh bien aujourd’hui on devrait justement : « retenir pour mieux donner » en référence à l’article d’Hélène Mazeron !
Le droit offre en la matière une palette de possibilités parfois sous-exploitées pour répondre plus habilement à celui qui voudrait préparer sa transmission tout en assurant son propre avenir. Autrement dit, s’appauvrir par la donation tout en s’enrichissant des bons conseils de son interlocuteur capable de lui rappeler que la première personne à protéger, c’est elle-même !
Je pense dans le désordre aux donations avec charges, donation d’usufruit temporaire ou d’usufruits successifs, donations de sommes d’argent avec réserve de quasi-usufruit, donations graduelles et résiduelles (1,5 millions d’enfants de moins de 18 ans vivent dans des familles recomposées), donations alternatives et facultatives etc…
Mais prévoir également la révocation d’une donation pour survenance du 1er enfant ou l’inexécution des charges, étudier toutes les pistes qui permettent de donner tout en conservant la maîtrise comme le recours à la société civile.
Il faudra enfin garder en tête la « concurrence » qui se joue entre transmission aux enfants et protection du conjoint survivant. L’un peut s’opposer à l’autre. Pour illustration, on rappellera que les droits du Conjoint Survivant se calculent sur ce qui reste après les donations et à l’inverse que le droit viager du conjoint sur le logement ampute les droits des enfants.
Je pense aussi à ce qu’il ne faudrait vraiment pas faire. Certains français se démunissent de leur Résidence Principale tout en conservant l’usufruit, oubliant que s’ils souhaitent changer de cadre de vie ou en cas de besoin financier, ils seront dépendants de leurs enfants.
C’est aussi pour cela que les praticiens doivent plus largement privilégier les legs, c’est-à-dire un dessaisissement au moment de la mort du disposant. Même si je le concède, celui qui héritera avoisinera en moyenne les 60 ans !
Le leg est plus adapté car il autorise la faculté de repentir, le droit à l’erreur, la possibilité de modifier le programme établi. Je peux changer mon testament.
On nous oppose que la donation évite les conflits à terme. Ce n’est pas tout à fait exact. Il existe parfois des problèmes de rapport pour assurer l’équilibre entre enfants, de réduction, de valeurs…
Cela n’empêche pas la vigilance au regard des réalités du moment, une belle-maman qui a quasiment le même âge que celui de ses beaux enfants ne doit pas recevoir de leg en usufruit au risque de priver les beaux-enfants de tout actif par exemple…
Au-delà de la pratique, le législateur, est lui aussi en cause dans cette affaire. Il tente d’influencer le propriétaire, le détenteur d’actifs par la fiscalité.
Il a ainsi incité historiquement les français à donner jeunes par des mesures favorables. Supprimées depuis, on retrouve un phénomène quasi-identique mais plus « vicieux ». Le rallongement du délai de rappel fiscal à 15 ans obligent les donateurs à s’exécuter plus jeunes s’ils veulent en bénéficier une nouvelle fois ou au plus tard au moment de leur disparition en ayant eu un temps suffisant pour le reconstituer.
Et comme la fiscalité reste un enjeu majeur pour les français qui ont fait savoir en de multiples occasions ces dernières années leur « ras le bol » en la matière, j’en terminerai avec l’impôt.
La rupture du consentement à l’impôt ne doit pas être l’occasion pour des parents de procéder à des donations qui ne diraient pas leur nom comme : placer une somme d’argent sur un compte d’épargne au nom d’un enfant, procéder à des dons manuels non déclarés etc…
Finalement, il nous faut renouveler la hiérarchisation des opérations patrimoniales des clients avec une approche préventive plus marquée.